Des mots, des mots, des mots.

Polonius: What do you read, my lord?
Hamlet: Words, words, words.

dimanche 17 octobre 2010

Kafka et les messagers

« On leur donna le choix: ils pourraient devenir rois ou messagers de rois. A la manière des enfants, ils voulurent tous être messagers. Voilà pourquoi il n'y a que des messagers, ils courent de par le monde et comme il n'y a pas de rois, ils se crient les uns aux autres des messages désormais absurdes. Ils mettraient volontiers fin à leur vie misérable mais n'osent pas car ils ont prêté serment. » 
Franz Kafka - Aphorisme de Zürau 47

lundi 11 octobre 2010

Le silence selon Applefeld me parle

«J'ai choisi d'entamer mon récit par ces mots afin que nul ne vienne me chercher des noises. Je ne joue pas à cache-cache. Je dis ce que j'ai à dire. Il arrive que les gens ne me comprennent pas, ou interprètent mal mes propos. Je n'ai pas l'intention de changer. Autrefois, j'avais le désir d'expliquer, d'analyser, de faire émerger la vérité à tout prix. Plus rien de ce désir ne subsiste en moi. Je parle moins, et j'ai désormais un nouveau poste d'observation: le silence. C'est le meilleur des maîtres, et j'ai élaboré avec lui une stratégie qui sied aux rapports humains. Je suis capable de me taire une semaine entière. Les gens en déduisent que je suis mélancolique ou impassible. Ils se trompent, Je me tiens loin d'eux, c'est tout. Grâce au silence je prends le large. Pensif, je parcours les années et les lieux. Seul un silence prolongé étanche cette soif de contemplation. C'est mon alcool. Je bois sans répit et demeure assoiffé. Pour être honnête, il m'arrive d'être submergé par mes vieilles pulsions, par l'envie de convaincre, mais je n'y cède pas. »

Et la fureur ne s'est pas encore tue
Aharon Applefeld

C'est maintenant qu'il faut reprendre vie !

C'est maintenant qu'il faut reprendre vie. J'ai répété cette phrase toute la journée en longeant la Seine: "c'est maintenant qu'il faut reprendre vie." Il y avait une lumière nouvelle dans les arbres, du vert partout, du bleu, et ce vent léger où flottent les désirs. J'ignore d'où venait cette phrase, mais elle glissait bien dans ma tête. Avec elle une joie bizarre se diffusait dans l'air d'avril, une joie de solitude qui vous ouvre la route. J'ai dit: "C'est maintenant qu'il faut reprendre vie." Aussitôt, il y a eu une série d'étincelles autour de ma tête, puis la phrase s'est enroulée autour de mes épaules en y traçant des lignes rouges, orange, jaunes; elle a cheminé le long de mon bras, lentement, jusqu'à ma main qui s'est gorgé d'un sang bleu-noir. C'est ainsi que ce livre a commencé à s'écrire. La Seine, les arbres et mon corps se sont mis à tourner dans un instant de vide. Je n'ai pas eu le vertige. Au contraire: tout était affecté de vertige, sauf moi. Je brûlais, mon corps n'était plus mon corps, mais un buisson de flammes d'où sortaient des phrases. Ces phrases tourbillonnaient dans la lumière, au dessus de l'eau, comme des tapis volants. Elles formaient dans le ciel d'immenses rubans de nacre. Un calme étrange fleurissait dans ma tête. Laisse faire, me disais-je, surtout laisse faire: un passage va s'ouvrir, et ce passage, tu l'appelleras Cercle.
Cercle - Yannick Haenel