Il n'y a qu'une seule chose à faire: se refaire.
Ce n'est pas simple.
Paul Valéry - Mauvaises pensées et autres.
En exergue de Le Navire Argo, de Richard Jorif
Polonius: What do you read, my lord?
Hamlet: Words, words, words.
Il n'y a qu'une seule chose à faire: se refaire.
Ce n'est pas simple.
Paul Valéry - Mauvaises pensées et autres.
En exergue de Le Navire Argo, de Richard Jorif
Ils ont foncé dans la rue tous les deux, tout ce qui les entourait les bottait, façon première manière, qui est devenue depuis bien plus triste et plus lucide aussi; mais à l'époque, ils dansaient dans la rue comme des ludions, et moi je traînais la patte derrière eux, comme je l'ai toujours fait quand les gens m'intéressent, parce que les seuls qui m'intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe, qui veulent tout à la fois, ceux qui ne bâillent jamais, qui sont incapables de dire des banalités, mais qui flambent, qui flambent, qui flambent, jalonnant la nuit comme des cierges d'église.
Jack Kerouac - Sur la route (le rouleau original)
L'image du rat, cependant, m'est familière. Sauf que l'animal qui me ronge, moi, de l'intérieur, c'est un renard. Le rat d’Étienne provient de 1984, mon renard de l'histoire du petit Spartiate qu'on étudiait en cours de latin. Le petit Spartiate avait volé un renard qu'il gardait caché sous sa tunique. Devant l'assemblée des Anciens, le renard s'est mis à lui mordre le ventre. Le petit Spartiate, plutôt que de le libérer et ce faisant d'avouer son larcin, s'est laissé dévorer les entrailles jusqu'à ce que mort s'ensuive, sans broncher.Un jour, je l'ai raconté à Etienne, je suis allé voir le vieux psychanalyste François Roustang. Je lui ai parlé du renard que j'avais encore l'espoir de chasser en découvrant comment et pourquoi, vers la fin de mon enfance, il s'était logé là, sous mon sternum, pour comprimer et ronger mon plexus solaire. Roustang a haussé les épaules. Il ne croyait plus aux explications, ni d'ailleurs à la psychanalyse, seulement à la justesse des gestes. Il a dit: laissez-le sortir. Laissez-le se mettre en boule, là, sur ce canapé. Il n'y a rien d'autre à faire. Vous voyez, il est là. Il se tient tranquille. Et quand je suis parti, en me serrant la main: vous pouvez me le laisser, si vous voulez. Je vous le gardeJ'ai cru que cela marcherait, un moment. Je ne suis pas retourné chercher le renard, il est revenu de lui-même. Aujourd'hui, il me laisse en paix, soit qu'il dorme, soit qu'il ait, comme je l'espère, quitté la place pour de bon, mais à l'époque de mes entretiens avec Etienne, il y a trois ans, il était encore là. Il me faisait souffrir. Et il m'aidait à l'écouter.
Ce fut là précisément, dans le tumulte du camp d'Atlit, que j'entendis de nouveau la prosodie de mon père, son parler calme et riche en nuances. Il abhorrait les discours idéologiques, qu'ils fussent marxistes ou sionistes, ou encore orthodoxes, tous lui écorchaient les oreilles avec leurs affirmations univoques, et s'il en citait parfois les slogans, c'était pour en faire jaillir le ridicule.
Mon père avait des règles d'airain: ne pas mettre en avant son "moi", ni en parlant ni en écrivant. Exprimer une opinion ou un sentiment avant l'exposition des faits est inconcevable. Porter attention aux détails constitue la plus belle parure du langage. Faire preuve de finesse, toujours. Ne jamais se prendre au sérieux. Réserver un espace à l'ironie, qui distingue entre un homme qui pense et un homme qui se contente d'aligner des mots.
J'avais perdu ces règles, alors qu'elles avaient accompagné mon enfance. A vrai dire, je les avais perdues dans le ghetto. Pendant la guerre, les hommes avaient recouru à un autre langage: rugissements, grognements, cris, insultes, tout ce qui constitue la langue d'une foule entassée.
Aharon Applefeld - Le garçon qui voulait dormir
Quand une truite qui veut happer une mouche se trouve prise à l’hameçon et s’aperçoit qu’elle ne peut plus nager, elle se met à lutter, et, dans les soubresauts et des tourbillons, il arrive parfois qu’elle parvienne à s’échapper. Souvent, bien entendu, c’est trop difficile et elle n’y parvient pas.
De la même manière, l’être humain entre en lutte avec son milieu et contre l’hameçon qui l’a saisi. Parfois il se rend maitre des difficultés qu’il affronte ; parfois elles sont trop fortes pour lui. Le monde ne voit que le combat qu’il mène et, tout naturellement, se méprend sur cette lutte. Il est dur pour un poisson en liberté de comprendre ce qui arrive à celui qui a mordu à l’hameçon.
Karl A. Menninger, cité en exergue de « l’élu » de Chaim Potok